L’industrie textile émet plus de gaz à effet de serre que les vols internationaux et le transport maritime réunis. Elle pollue aussi notre eau en rejetant des produits chimiques toxiques, et on retrouve des fibres textiles jusque dans les profondeurs des océans et dans la neige des sommets les plus hauts de notre planète.
Beaucoup de marques nous disent qu’elles font des efforts, en utilisant des matières dites « durables », mais elles ne sont pas toujours tout à fait transparentes et ce n’est pas facile de démêler le vrai du faux… Zoom sur la viscose, cette soie artificielle qu’on retrouve très souvent dans nos petites robes qui tombent si bien et nos jolies blouses toutes douces, et qui a encore bien du chemin à faire pour être vraiment durable !
La viscose, qu’est-ce que c’est ?
La viscose est un tissu fabriqué à partir de végétaux. C’est la troisième matière la plus utilisée dans l’industrie textile, après le polyester et le coton. C’est donc très probable que tu en aies dans ta garde-robe ! C’est une soie artificielle, au toucher agréable et au tombé fluide, qui a l’avantage de ne pas beaucoup se froisser…
Pour la fabriquer, on utilise des végétaux qui poussent relativement vite, comme le bambou, l’eucalyptus, la canne à sucre, le pin ou le hêtre, dont on extrait la cellulose. On transforme cette pulpe en pâte végétale, d’où l’on peut ensuite tirer des fils qui seront tissés.
On pourrait donc penser que puisqu’elle est fabriquée à partir de ressources renouvelables, la cellulose est plutôt sympa pour la planète ! Oui, mais…
Pourquoi la viscose pose problème ?
Tu t’en doutes bien, le procédé de fabrication implique des produits chimiques nocifs : du sulfate de soude et de l’acide citrique pour extraire la cellulose végétale, puis du disulfure de carbone pour la transformer en pâte végétale. Or le disulfure de carbone cause une importante pollution de l’air et de l’eau quand ses rejets ne sont pas contrôlés. Il a été lié à de nombreuses maladies, dont des maladies rénales et des crises cardiaques. Les réactions chimiques du procédé de fabrication entraînent aussi la production de sulfure d’hydrogène, un autre composé toxique qui peut provoquer des irritations et affecter le système nerveux. L’hydroxyde de sodium (plus communément appelé soude caustique) et l’acide sulfurique sont aussi utilisés pour fabriquer la viscose. Tous les deux sont corrosifs et peuvent provoquer des brûlures.
Dans les pays en voie de développement où sont produits la viscose (on retrouve en tête l’Inde, l’Indonésie et la Chine), les déchets chimiques sont encore trop souvent rejetés dans la nature sans traitement, polluant l’air et l’eau, affectant végétaux, animaux et populations humaines. La santé des travailleurs eux-mêmes, s’ils ne sont pas protégés dans les usines de fabrication, peut être gravement affectée.
Et puis, les forêts d’où proviennent les végétaux ne sont pas toujours gérées correctement, et beaucoup trop d’arbres sont coupés dans des aires protégées. On estime qu’environ 30% de la viscose utilisée dans la mode est fabriquée à partir d’arbres provenant de forêts anciennes ou menacées. Le rendement n’est pas très élevé, puisqu’il faut environ 1 kg de fibres naturelles pour obtenir 400 g de viscose. Résultat, on utilise aujourd’hui autant de pulpe de bois pour fabriquer de la viscose que pour fabriquer du papier, et la viscose est l’une des causes principales de déforestation en Indonésie, au Canada et en Amazonie. On détruit ainsi les habitats des espèces animales et des communautés indigènes.
Bref, c’est pas jojo tout ça…
Des progrès encourageants
Heureusement, de plus en plus de marques de vêtements font des efforts pour utiliser de la viscose dite « durable », grâce notamment aux efforts des ONG Canopy et Greenpeace et de la Changing Markets Foundation. Entre 2013 et 2020, 333 marques et designers se sont engagés à ne plus utiliser de viscose provenant de forêts vulnérables, et 22 producteurs de viscose (représentant 91% du marché mondial) ont intégré des pratiques respectant les forêts menacées. Malgré tout, le nombre d’arbres utilisés pour fabriquer de la viscose est passé de 70 millions à 200 millions sur la même période…
Autre bonne nouvelle : la viscose est de plus en plus fabriquée en circuits fermés, permettant de ne plus rejeter de déchets toxiques, d’utiliser moins d’eau et d’énergie et de limiter les émissions de gaz à effet de serre. De nouvelles technologies permettent d’aller encore plus loin et de mettre au point des procédés utilisant des déchets textiles comme matière première, au lieu de végétaux. Il est par exemple possible de produire une tonne de viscose à partir d’une tonne de coton recyclé. On estime ainsi que toute la production de viscose pourrait se faire en utilisant seulement 25% des vêtements de coton et de viscose jetés. On pourrait ainsi réduire la déforestation, le remplissage des décharges et l’incinération de déchets. Même si on sait que ces avancées ne résolvent pas tous les problèmes de la surconsommation et que le meilleur déchet reste celui qu’on ne produit pas…
Mais les engagements que prennent les marques sont encore trop rares et ne concernent souvent qu’une partie de la chaîne de production. Et comme on l’a vu, les quantités produites augmentent encore et toujours, entraînant pollution et déforestation.
Comment agir ?
La première chose à faire est bien sûr de diminuer sa consommation de vêtements. L’augmentation de la production textile est plus importante que l’augmentation de la population sur Terre ! Il fut un temps ou deux collections par an suffisaient à trouver ce dont on avait envie. Aujourd’hui, les marques de fast fashion nous proposent jusqu’à 50, voire 100 « micro-saisons » dans l’année, pour nous donner envie d’acheter toujours plus, toujours plus souvent. Il y a du nouveau toutes les semaines ! Il est urgent de repenser notre façon d’acheter, et de revoir nos besoins à la baisse… Peut-être pourrait-on commencer par mettre en sourdine les comptes Insta, TikTok et Youtube de nos influenceuses mode préférées pour résister aux dictats des grandes marques ? On peut toujours les retrouver au moment où on a vraiment besoin de s’acheter de nouveaux vêtements, pour nous aider à faire notre choix ou nous donner des idées ! On peut aussi regarder quelques documentaires pour mettre des images sur les mots, ouvrir les yeux et nous aider à résister à l’achat compulsif 😉 Parmi ceux qu’on a regardés et appréciés :
- Fast Fashion – les dessous de la mode à bas prix (Arte, 2021)
- The True Cost (Andrew Morgan, 2015)
- Le Monde selon H&M (Spécial Investigation, 2014)
« Ok d’accord, mais il va tout de même bien falloir continuer à se vêtir… » Alors on fait attention à ce qu’on achète, et si on peut se le permettre ou se le faire offrir, on préfère les viscoses certifiées, qui sont obtenues à partir de forêts gérées durablement. Pour cela, on peut par exemple se tourner vers les marques qui travaillent avec Canopy ou chercher les certifications PEFE-FSE ou FSC.
On peut aussi se tourner vers le Tencel™, qui est fait de fibres cellulosiques très similaires à la viscose, dont l’apparence et le procédé de fabrication ressemblent beaucoup. Sa fabrication est moins polluante, puisqu’un solvent moins nocif que la soude caustique est utilisé, et 99% de ce solvant est récupéré et réutilisé, en circuit fermé. Les matières végétales proviennent aussi de forêts gérées durablement, ce qui permet de limiter la déforestation.
EcoVero™ est une autre matière similaire à la viscose mais fabriquée à partir de bois dont les sources sont contrôlées et gérées durablement. Comme pour le Tencel™, c’est l’entreprise autrichienne Lenzing qui a mis au point son processus de fabrication. Les arbres proviennent de forêts certifiées « Forest Stewardship Council » ou « Program for Endorsement of Forest Certification Schemes » in Europe. Plus de 60% des arbres utilisés proviennent d’Autriche ou d’Allemagne, pour limiter les émissions dues à leur transport. Presque tous les produits chimiques sont récupérés et réutilisés, permettant de diminuer de 50% les émissions et la consommation d’eau et d’énergie par rapport à un processus de fabrication classique.
Les matières naturelles, surtout le lin et le chanvre qui sont les moins gourmandes en eau et en pesticides et qui peuvent être produits sous les latitudes européennes restent des valeurs sûres. Attention quand même aux teintures qui peuvent être toxiques, mais c’est un autre aspect de ce vaste sujet qu’est l’industrie de la mode et son empreinte environnementale…
Alors voilà, même si de plus en plus de marques font des efforts pour nous proposer des produits moins polluants, on reste vigilant.e.s au greenwashing, on pose des questions aux vendeur.euse.s et on hésite pas à envoyer un petit mail plein de questions aux services clients. C’est important de se souvenir que même si les marques ont les moyens et le pouvoir d’améliorer leurs chaînes de production, nous, consommateur.ice.s, pouvons faire pression pour que le – fameux – système change plus vite !
Sources – pour aller plus loin
- ADEME, Le revers de mon look
- Canopy, CanopyStyle
- Changing Markets Foundation, 2019, Dirty Fashion Disrupted: Leaders and laggards revealed
- Changing Markets Foundation, 2020, Dirty Fashion: Crunch Time
- Good on You, 18.01.2021, What are you wearing? The ultimate clothing material guide
- Good on You, 09.03.2020, Material Guide: What is viscose? And is it sustainable?
- Good on You, 19.02.2021, Material Guide: What is Tencel? And is it sustainable?
- Napper IE, Davis BFR, Cliffort H et al., 2020, Reaching new heights in plastic pollution – Preliminary findings of microplastics on Mount Everest, One Planet 3, pp. 621-630
- Peng X, Chen M, Chen S, et al., 2018, Microplastics contaminate the deepest part of the world’s ocean, Geochemical Perspectives Letters 9, pp. 1-5
- UK Parliament, 19.02.2019, Fixing fashion: clothing consumption and sustainability
- WeDressFair, Viscose