Pâques sans chocolat ? Tu serais pas un peu rabat-joie, Véro ? Chocolat noir, chocolat au lait, aux amandes, praliné noisette, et j’en passe… Pâques est l’occasion de dévorer ces gourmandises sans culpabilité… Ah oui, vraiment ? L’univers du chocolat est-il tout blanc ? Tu vas voir qu’il existe malheureusement de nombreux problèmes environnementaux et sociaux autour du commerce du cacao, et pas des moindres…
La réalité est difficile à accepter, surtout pour les gourmands. Mais heureusement, de nombreuses solutions existent pour que Pâques reste la fête du renouveau et que l’on puisse continuer à savourer les plaisirs du printemps !… Alors, vas-tu encore pouvoir te régaler de chocolat ?
Un cacao qui dévaste les forêts
Pour faire du chocolat, il faut d’abord un cacaoyer. De cet arbre, on récolte des cabosses, qui contiennent des fèves. Ce sont ces fèves de cacao qu’on fait sécher, fermenter et torréfier pour produire les œufs, les poules et les lapins en chocolat qui nous font tellement saliver.
Le cacaoyer a besoin d’ombre pour se développer et s’épanouir pleinement avec le temps. Mais pour améliorer les rendements à court terme, beaucoup de cultivateurs brûlent ou coupent les arbres de la forêt pour planter leurs arbres en plein soleil. Les rendements sont certes augmentés les premières années de récolte, mais l’arbre et le sol s’épuisent ainsi et il faut bien vite les abandonner pour en planter de nouveaux… Et comment va-t-on pouvoir planter de nouveaux arbres ? Je te le donne en mille… En rasant encore un peu plus de forêt.
Cette forêt, ce n’est pas n’importe laquelle. Les premiers pays producteurs de cacao sont le Ghana et la Côte d’Ivoire. 60% du cacao importé en France vient de ces deux pays, et c’est la même proportion au niveau mondial. Dans ces deux pays, la culture de cacao a été le premier facteur de déforestation. Les forêts luxuriantes, les éléphants aux défenses majestueuses, les chimpanzés agiles… Tout ça presque complètement rasé en quelques décennies. La Côte d’Ivoire a perdu 80% de ses forêts ces 50 dernières années, y compris dans des aires protégées. On y comptait à l’origine des centaines de milliers d’éléphants ; il n’en reste plus que quelques centaines. Les chimpanzés ne se trouvent plus que dans quelques endroits et sont considérés en danger d’extinction. D’autres animaux sont également menacés dans ces forêts, comme les hippopotames nains, les écureuils volants, les léopards et les crocodiles.
En rasant les forêts, on expulse les animaux et les populations autochtones. On perturbe aussi le régime des pluies, ce qui représente un risque non seulement pour la biodiversité, mais aussi pour les populations humaines. En Côte d’Ivoire, les écosystèmes ont été tellement dévastés que le risque est énorme de voir les précipitations nécessaires à l’agriculture et aux populations humaines diminuer drastiquement. Le Nord du Ghana et de la Côte d’Ivoire sont proches du Sahel, dont la frontière descend un peu plus vers le Sud chaque année. En supprimant les forêts, on ne fait qu’aider ce processus.
Ces pratiques menacent aussi d’autres régions du monde, où la culture de cacao s’implante petit à petit pour répondre à la demande toujours croissante. Des déboisements massifs ont aussi lieu au Pérou, en Équateur et en Indonésie, par exemple.
Un chocolat pas si doux que ça…
L’industrie du chocolat génère plus de 100 milliards de dollars par an. 90% de la production est réalisée par 5 à 6 millions de petits producteurs, possédant des parcelles de 2 à 5 hectares. En Afrique de l’Ouest, les cultivateurs de cacao gagnent en moyenne moins d’un dollar par jour, c’est-à-dire, pour la Côte d’Ivoire, 37% du revenu minimum calculé par Fairtrade en 2018. Alors que les marques chez qui on achète nos tablettes de chocolat récupèrent 35% du prix de vente et les revendeurs 40%, seulement 6% reviennent aux cultivateurs. Autant te dire qu’ils n’ont jamais pu croquer de chocolat de leur vie…
Résultat : les paysans n’ont pas assez d’argent. Plutôt que d’envoyer leurs enfants à l’école, beaucoup préfèrent les faire travailler dans les plantations, pour gagner un peu plus pour vivre. C’est cette pauvreté qui les pousse à cultiver le cacao en plein soleil : ils ont besoin d’argent à court terme.
Les enfants aident donc souvent leurs familles pour la récolte de cacao. Mais il y a pire. Beaucoup sont vendus par leurs parents ou enlevés par des trafiquants. 200 à 300€, voilà le prix d’un jeune esclave. Ils viennent des pays voisins dans l’espoir de vivre une vie meilleure et se retrouvent coincés pendant des années, à travailler comme esclaves en échange de nourriture. Pas de salaire, non. Au bout de quelques années, s’ils ont suffisamment travaillé, on les « récompensera » en leur donnant une petite parcelle de cacaoyers et ils pourront alors gagner leurs premiers billets en vendant le produit de leurs récoltes… Un vrai cercle vicieux.
Ces enfants travaillent bien évidemment dans des conditions déplorables, avec de longues journées, en portant des poids lourds, en utilisant des machettes, sans protection pour pulvériser le glyphosate, avec les moustiques et la malaria. En Afrique de l’Ouest, ils seraient plus de 2 millions aujourd’hui, en tout, à récolter le cacao qui se retrouvent dans nos magasins.
Les certifications… insuffisantes ?
Certes, il existe des certifications. Les plus fiables sont Fairtrade, Rainforest Alliance et Agriculture biologique.
- Fairtrade : un revenu vital est déterminé pour les producteurs et un prix minimum est payé pour le cacao. Une prime est également versée aux producteurs, pour qu’ils puissent investir dans des projets de leurs choix, pour améliorer la production, le stockage ou le transport, par exemple. L’agriculture biologique est encouragée par un prix minimum plus élevé mais n’est pas garantie.
- Rainforest Alliance : Les producteurs sont formés aux bonnes pratiques et les appliquent en plantant des espèces indigènes, des arbres d’ombrage, en maintenant des corridors pour la faune, en réduisant leur dépendance aux pesticides. Aucune prime n’est versée, mais les producteurs vendent en général à des prix plus élevés que ceux qui ne sont pas certifiés.
- Agriculture biologique : les critères varient d’un pays à l’autre mais assurent généralement la protection de l’environnement et l’évitement des engrais et pesticides. Aucune référence n’est en général faite aux forêts, et aucun critère social n’est mis en place.
Ces labels ont leurs limites. Aucun, par exemple, ne garantit l’absence du travail d’enfants. Mais ils sont quand même de bons indicateurs. Si tu dois faire un choix, fais-le en faveur de ceux-ci.
Et les certifications que les entreprises se créent elles-mêmes ? Elles sont sûrement remplies de bonnes intentions, mais il faut être très prudent.e. La plupart des cultivateurs de cacao n’ont souvent que de petites parcelles. Leurs récoltes passent entre les mains des « pisteurs », qui les transportent jusqu’aux coopératives qui les achètent. Dans ces entrepôts, les sacs de fèves de cacao sont ouverts et leurs contenus sont mélangés. Le cacao est ensuite vendu aux gros négociants puis aux entreprises chocolatières. La traçabilité du cacao est un véritable casse-tête, et il est extrêmement difficile de remonter au-delà de la coopérative. Comment savoir alors si le cacao vendu provient de forêts protégées ? Si des enfants esclaves ont participé à sa récolte ? La direction des espaces protégés en Côte d’Ivoire estime à 40% la part de cacao produit dans des aires protégées.
Les industriels du chocolat et les gouvernements des pays producteurs ont signé des accords à plusieurs reprises, mais sans réel succès. Ni le protocole Harkin-Engel en 2001, ni l’Initiative Cacao & Forêts de 2017 n’ont démontré de résultats probants.
L’ONG Mighty Earth a pris les choses en main et fait ce que les industriels auraient dû faire depuis bien des années. En créant une carte de responsabilité, elle les incite à améliorer la traçabilité de leur cacao et constate des progrès, même s’ils sont encore insuffisants.
Un peu d’espoir
Heureusement, certains agriculteurs trouvent une autre voie. Grâce à certains programmes, comme par exemple le REDD de l’UNEP, ils sont formés à l’agroforesterie. Ces agriculteurs plantent d’autres arbres qui font de l’ombre à leurs cacaoyers et leur assurent un meilleur rendement sur le long terme, en les gardant en meilleure santé. Les bananiers et les manguiers que plantent les paysans leur fournissent des ressources alimentaires plus variées, et les autres arbres qu’ils plantent peuvent être exploités pour vendre leur bois. On diversifie ainsi les sources de revenus des producteurs et on réduit les risques liés à la volatilité du prix du chocolat. Leur revenu est ainsi plus stable.
La Côte d’Ivoire s’est engagée à restaurer les forêts sur 20% du territoire (elles ne couvrent aujourd’hui que 8% des terres). Les pratiques d’agroforesterie apparaissent comme une solution prometteuse qui aiderait à respecter cet engagement, à renforcer la résistance des écosystèmes et des populations aux variations climatiques et contribuerait à atténuer le changement climatique.
D’autres pays réfléchissent à des mesures contre la déforestation. La Colombie est ainsi devenue le premier pays d’Amérique Latine à adopter un plan national zéro déforestation spécifique au cacao. Des discussions sont également en cours à ce sujet au Brésil, au Bélize, en Bolivie, au Cameroun et au Libéria.
Peut-on encore manger du chocolat ?
Malgré ces notes d’espoir, les forêts indigènes continuent aujourd’hui à être remplacées par des champs infertiles de cacaoyers. 47000 hectares – quatre fois la superficie de Paris – déforestés au profit du cacao en 2020 en Côte d’Ivoire. Et des enfants sont toujours forcés à travailler dans ces plantations…
Maintenant que tu as toutes les infos, on te laisse décider si tu veux encore manger du chocolat, et comment 😉 Voici quelques pistes de réflexion.
La première des choses à faire pour limiter le désastre, c’est évidemment de consommer moins. La demande en chocolat augmente tous les ans de 2 à 5%. Les Européens en sont les premiers consommateurs : ils dévorent 60% de la production mondiale. Peut-être pourrions-nous nous freiner un peu, et réduire la taille et le nombre de gourmandises chocolatées que l’on s’offre à Pâques, mais aussi toute l’année : il n’en sera que meilleur et encore plus apprécié.
Pour choisir notre chocolat, on se tourne vers les labels cités plus haut, on se renseigne sur les sites des fabricants – en se méfiant du greenwashing, on choisit du chocolat de qualité. On peut se référer au tableau de bord de Mighty Earth, qui décerne un œuf d’or à Alter Eco pour ses engagements en matière de développement durable. On peut aussi poser des questions à nos artisans chocolatiers. Bref, on réfléchit avant d’acheter. Et on achète en conscience. Même les petits gâteaux et autres confiseries qui contiennent du chocolat !
Pâques autrement
Mais alors, plus de chocolat à Pâques ?
Tu peux bien sûr continuer à en offrir, surtout si tu suis les conseils qu’on vient de te donner. Mais tu peux aussi réfléchir à offrir quelque chose d’autre, qui soit en accord avec tes valeurs et les célébrations du renouveau (qu’elles soit païennes ou religieuses). Voici quelques idées en vrac, n’hésite pas à nous donner les tiennes !
- Offrir des œufs gourmands fabriqués avec d’autres matières premières : en pâte sablée ou en nougatine, par exemple. En faisant toujours attention à ce qu’on achète, bien sûr !
- Organiser une chasse aux œufs décorés, qui dureront bien plus longtemps. Des œufs de poule évidés, peints ou teints par tes soins, des œufs que tu auras cousus dans des chutes de tissu (tu trouveras plein de tutos sur le net). Ils auront beaucoup de valeur si tu les fais toi-même, mais tu peux aussi en trouver en bois ou en porcelaine, si tu préfères.
- Offrir autre chose, qui symbolise le printemps et la renaissance : des plantes, des graines, un joli bouquet de fleurs (locales) : que de gaieté dans la maison et le jardin ! Et ça tombe à pic, juste au moment où on a envie de s’occuper de ses jardinières et de son jardin ! ça, c’est bon pour le moral, pour la santé, et surtout… #CestBonPourLaPlanete ! 😉
Références – à consulter pour aller plus loin :
- Envoyé Spécial (France 2) 10.01.2019. Cacao : les enfants pris au piège.
- Fern (Duncan Brack) 2019. Towards sustainable cocoa supply chains: Regulatory options for the EU. 52 pp.
- Mighty Earth. 18.02.2021. Communiqué de presse Mighty Earth sur la nouvelle carte de responsabilité du cacao 3.0
- Mighty Earth. 13.10.2020. ONG : l’industrie et les gouvernements affaiblissent-ils le nouveau rapport cacao pour minimiser le travail des enfants et la pauvreté des agriculteurs ?
- Mighty Earth (Etelle Higonnet et al.) 2018. Chocolat : mensonges sous emballage. 13 pp.
- Mighty Earth (Etelle Higonnet et al.) 2017. Chocolate’s dark secret. 24 pp.
- Un monde en docs (Public Sénat) 21.09.2019. Cacao – une culture destructrice ?
- UNEP. 16.08.2019. Un chocolat respectueux des forêts.
- WWF France, 2018. Déforestation importée : arrêtons de scier la branche ! 21 pp.