La surpêche, on n’en parle pas si souvent lorsqu’on aborde les grands problèmes environnementaux. Pourtant, en affectant la biodiversité marine, la pêche industrielle perturbe les équilibres naturels si fragiles.
C’est en regardant le documentaire Seaspiracy que j’ai réellement pris conscience des problèmes que la diminution des stocks de poissons engendre. Non seulement les chiffres liés à la perte de biodiversité marine sont alarmants, mais d’autres problèmes comme la pollution plastique, l’esclavage moderne ou le changement climatique y sont liés… On pourrait croire que tout cela se passe à l’autre bout du monde et que l’on n’y peut rien, mais c’est faux et il est grand temps d’ouvrir les yeux pour ne plus foncer droit dans le mur : il y a urgence à changer nos comportements !
Je t’emmène faire un tour en mer, tu ne vas pas être déçu.e du voyage… Et comme d’habitude, je te donne des solutions pour agir à la fin de l’article !
La surpêche, qu’est-ce que c’est ?
Je ne vais pas t’embêter longtemps avec les détails techniques, mais c’est important de savoir de quoi on parle…
On parle de surpêche lorsque, pour une espèce et une région donnée, le nombre de poissons pêchés est trop important pour permettre à la population de se régénérer. C’est-à-dire, quand la hausse du nombre de captures entraîne la diminution du nombre de prises, la diminution de la taille moyenne et de l’âge moyen des prises, la diminution du nombres d’individus prêts à se reproduire. A terme, la surpêche peut donc entraîner l’effondrement d’une population, voire l’extinction d’une espèce. Déjà au XIXème siècle, les stocks de morue de Terre-Neuve étaient à un niveau très critique. L’exemple le plus connu aujourd’hui est celui du thon albacore.
La limite de nombre de prises à ne pas dépasser pour laisser une population se régénérer est définie par le « rendement maximal durable ». C’est à partir de cette valeur que sont définis les quotas de pêche. Elle est souvent équivalente à environ la moitié ou le tiers de la population maximale qu’il y aurait naturellement, sans activité de pêche. C’est-à-dire que le rendement maximal durable équivaut souvent à diviser par 2 ou 3 les populations naturelles de poissons. Pas vraiment l’idéal, mais passons…
La surpêche est directement liée à la pêche industrielle. Différentes méthodes sont utilisées pour ramasser toujours plus de poisson, toutes plus ou moins destructices.
Le chalutage de fond est l’une des techniques de pêche industrielle les plus souvent utilisées. Il consiste à racler le fond des océans avec d’énormes filets (qu’on appelle chaluts). Cela revient à passer un gros coup de bulldozer sur les fonds marins pour récupérer un maximum de poissons en un minimum de temps. Et au passage, on détruit les écosystèmes, y compris les récifs coralliens. Les plus grands filets de ce genre font la taille de cathédrales ! On ratisse ainsi l’équivalent de 4 316 terrains de football chaque minute dans le monde.
D’autres méthodes de pêche industrielle sont utilisées, qui sont souvent peu sélectives. Par exemple, la pose de filets verticaux sur des dizaines de kilomètres, dans lesquels la vie marine se fait piéger. On les appelle les murs de la mort. Ils ont été interdits par l’ONU il y a 30 ans mais continuent d’être massivement utilisés. On utilise aussi des sennes, ces énormes filets pouvant couvrir plusieurs hectares, et parfois la pêche à l’explosif.
De nombreuses espèces en danger
Tu l’as compris, les méthodes de pêche industrielle sont peu sélectives et capturent beaucoup d’animaux qui n’avaient pas été ciblés par les pêcheurs. Avec ces méthodes, non seulement on décime les populations ciblées par les pêcheurs, mais on récupère tout ce qui se trouve par là, y compris d’autres espèces et les poissons juvéniles, qui sont pourtant protégés pendant leur croissance. Des dauphins aussi, des raies, des tortues, des baleines, des marsouins et des coraux. C’est ce qu’on appelle les « prises accessoires ». Et qu’est-ce qu’on fait de ces animaux pris « accidentellement » ? On les relâche – le plus souvent morts – dans la mer. Ni vu, ni connu… Ou presque.
Les prises accessoires sont estimées à 7, voire 10 millions de tonnes de poissons par an dans le monde. Environ 50 millions de requins sont ainsi tués chaque année ; certaines espèces frôlent l’extinction. En France, plus de 10 000 dauphins sont tués par des prises accessoires, beaucoup sont retrouvés échoués sur les côtes du golfe de Gascogne.
Alors bien sûr, il faudrait protéger certaines zones, pour que la vie marine reprenne le dessus et puisse s’épanouir en toute tranquillité. C’est bien ce qui a été fait dans différentes régions du monde, mais à une échelle encore bien insuffisante. Les surfaces ne sont pas assez importantes, les protections ne sont pas assez élevées. Seulement 5% de l’océan dans le monde est protégé, et la pêche est autorisée dans 90% de ces aires protégées.
Certes, la France a atteint l’objectif recommandé par les scientifiques de 30% d’aires marines protégées, ce qui est bien supérieur à de nombreux autres pays. Mais les niveaux de protection de ces zones ne sont pas suffisants pour assurer la régénération des populations. Moins de 2% des eaux marines françaises ont un niveau de protection suffisant pour assurer de véritables bénéfices aux écosystèmes. Non seulement il faut élever le niveau de protection, mais il faut aussi s’assurer que les aires les mieux protégées soient réparties équitablement selon les bassins océaniques, pour permettre la pérennité de toutes les populations de poissons. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
Alors en attendant, les populations de poissons continuent à diminuer à une vitesse alarmante. Aujourd’hui, 90% des espèces commerciales sont surexploitées ou pleinement exploitées.
En Europe aussi, en France aussi. Selon l’Ifremer, sur les 400 000 tonnes de poissons et fruits de mer débarqués en France en 2020, seulement 47% proviennent de populations catégorisées « en bon état » (c’est-à-dire en adéquation avec le rendement maximal durable), alors que 27% proviennent de stocks « surpêchés », « dégradés » ou clairement « effondrés »… Il y a encore des efforts à faire !
Des déchets plastiques dangereux
Tu connais certainement les problèmes des déchets plastiques, on t’en avait déjà parlé ici. La solidité et la résistance des plastiques, qui ont fait leur succès, en font aussi des déchets persistants dans l’environnement, qui ne se dégradent pas facilement et qui polluent l’environnement. L’équivalent d’un camion poubelle de plastique est déversé dans les océans chaque minute. Parmi ces déchets plastiques, les morceaux de filets, cordes et lignes de pêche sont parmi les plus dangereux, puisqu’ils ont été conçus justement pour piéger les animaux marins. Et puisqu’ils sont résistants aux aléas environnementaux, ils restent présents pendant plusieurs années voire dizaines d’années dans l’environnement, affectant entre autres les sites d’alimentation et de reproduction des animaux.
Ces déchets s’accrochent aux nageoires ou au cou de certains animaux et les empêchent de se mouvoir correctement. Les poissons, tortues, mammifères marins et oiseaux marins sont piégés dans ces filets. Lorsqu’ils sont immobilisés, ils meurent de faim ou sont avalés par les prédateurs, pour qui la chasse est facilitée.
Les déchets plastiques sont également ingérés par les animaux marins. Le plastique prend alors la place de la nourriture dans les estomacs, et les animaux meurent de faim. Ce sont par exemple 20 kg de plastique qui ont récemment été retrouvés dans l’estomac d’une baleine.
Aujourd’hui, les déchets de matériel de pêche représentent environ 10% de la pollution plastique des océans à l’échelle mondiale, et bien plus dans certaines régions du globe. Ils pourraient bien représenter jusqu’à 70% des macroplastiques (morceaux de plus de 20 cm) flottant à la surface des océans. Mauvais temps, matériel vieux ou mal entretenu, emmêlement avec d’autres matériels de pêche… Les raisons pour lesquelles ils sont perdus ou délibérément abandonnés en mer sont variées.
Lorsque l’on compare avec la proportion de plastique retrouvé en mer qui est issu de pailles (0,03%), on dirait bien que pour réduire la pollution plastique, il serait plus efficace de manger moins de poisson que d’utiliser des pailles en bambou ! 😉 (On est bien sûr d’accord pour éviter les pailles en plastique…)
Les océans grands régulateurs du climat
Les océans contribuent grandement à réguler le climat en limitant la hausse des températures. Ils absorbent l’excès de chaleur à un endroit et le restituent à un autre endroit, plus froid, ce qui crée certains courants marins. L’un des plus connus est le Gulf Stream qui permet aux Européens d’avoir un hiver plus doux que les Nord Américains vivant aux mêmes latitudes. D’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, l’océan mondial a absorbé plus de 90% de l’excédent de chaleur accumulé depuis 1970.
Les océans constituent le plus grand réservoir de carbone de la planète. Ils auraient absorbé 20 à 30% des émissions de CO2 dues à l’Homme depuis les années 1980. Le carbone est piégé par plusieurs mécanismes : par simple contact entre l’air et l’eau, par la séquestration dans le plancton végétal (qui stocke à lui seul quatre fois plus de carbone que les forêts amazoniennes), et par les carcasses des animaux qui, en mourant, tombent au fond des océans et y restent. On estime ainsi qu’une baleine, en mourant, stocke environ 33 tonnes de CO2, et ce pour des centaines voire des milliers d’années. Collectivement, les grandes baleines pourraient stocker 1,7 milliards de tonnes de CO2 chaque année, si leurs populations revenaient aux niveaux auxquels elles étaient avant la commercialisation de leur chair. C’est l’équivalent des émissions annuelles du Brésil. Et on ne compte pas là dedans tout le reste de la population animale et végétale des océans…
Les poissons qui vivent dans les profondeurs des océans stockent aussi énormément de carbone en se nourrissant de petits poissons qui font des va-et-vient entre la surface et le fond océanique. On estime ainsi entre 1 et 2,5 millions de tonnes de CO2 stockés par les poissons vivant au fond des eaux britanniques et irlandaises !
On comprend ainsi que les océans sont de véritables puits de carbone et qu’en les vidant de leurs habitants, on diminue sa capacité à stocker du carbone et donc à réguler le climat.
Quelles sont les solutions ?
L’aquaculture, une fausse solution
Tu te demandes sûrement si tu ne pourrais pas simplement te contenter de poisson d’élevage… Hélas, non, on ne règlera pas le problème de cette façon.
Pour produire (je n’aime décidément pas ce terme pour parler d’animaux…) 1 kg de poisson d’élevage, il faut leur donner à manger 5 à 8 kg de farine…. de poisson !! Oui, les petits poissons sont transformés en farine pour produire de plus gros poissons… Résultat, pour un 1 kg de thon, il faut pêcher 15 kg de petits poissons. On a vu mieux, en terme de durabilité ! Surtout que la diminution des populations des espèces qui sont pêchées pour être réduites en farine nuit aux populations d’oiseaux marins, de cétacés et de poissons carnivores.
Et puis il est bien connu que la concentration extrême des poissons dans les bassins d’aquaculture leur rend la vie impossible. Ils sont traités aux antibiotiques mais sont quand mêmes soumis à diverses maladies et infections. En Écosse et au Chili, il n’est pas rare que les élevages de saumon causent l’asphyxie des écosystèmes ; en Amérique latine et en Asie, les mangroves ont été systématiquement détruites pour l’élevage des crevettes !
Bref, le poisson élevé en mer, c’est bien cra-cra… Nous on n’en veut pas.
Les labels, pas toujours fiables
Il existe plusieurs labels prétendant certifier le poisson pêché de manière durable. Mais là encore, on se heurte à de gros problèmes : il est très difficile de savoir ce qu’il se passe en mer, les organismes certifiants gagnent de l’argent avec leurs certifications… Résultat, il est avéré que l’un des plus gros labels, le label MSC (Marine Stewardship Council), est donné aussi à des industriels trop peu scrupuleux. Pire : en étudiant les pêcheries certifiées MSC, Bloom et des scientifiques nord-américains ont montré que MSC certifie principalement des pêcheries industrielles destructrices… On ne peut donc clairement pas se fier à ce label, et il n’est pas impossible que les autres organismes de certification se comportent de la même manière !
Manger moins de poisson…
Puisque le poisson d’élevage n’est pas bon pour la planète et que l’on ne peut pas vraiment se fier aux certifications de durabilité, il existe une solution radicale qui est aussi plutôt simple : manger moins, voire plus du tout, de poisson. On peut très bien s’en passer, j’en suis la preuve vivante. On trouve les fameux omega 3 dans les algues ou dans les huiles végétales, et on évite ainsi d’ingérer tous les produits toxiques que les gros poissons concentrent, dont le fameux mercure… Beurk !
D’excellentes alternatives végétales existent pour retrouver le goût de la mer. On peut aussi cuisiner en utilisant des végétaux qui nous rappellent la mer : citron, algues, aneth,… Notre recette de makis véganes va peut-être t’inspirer ! La terrine végétale aux saveurs marines de La Petite Okara est délicieuse aussi !
On peut ainsi déguster des plats merveilleux tout en respectant les poissons. Parce qu’on le sait, les poissons sont capables de ressentir la peine et la douleur. Ce sont des êtres intelligents, qui savent réclamer à manger et qui développent des techniques de drague incroyables ! On t’en a parlé sur instagram et depuis, j’avoue ne plus voir les étals des poissonniers de la même façon…
… Et de la viande de meilleure qualité !
On n’y pense pas souvent, mais manger moins de viande, ou en tous cas de la viande de meilleure qualité, permet de réduire les pressions de pêche sur les stocks de petits poissons. Quel est le lien entre viande et poisson ? Et bien, il est très simple, bien que surprenant : 20% des poissons pêchés dans le monde servent de « fourrage » aux animaux d’élevage. Aux poissons d’aquaculture, bien sûr, mais aussi aux poulets et aux porcs, par exemple… Encore un exemple qu’il faut vraiment faire attention à ce qu’on met dans nos assiettes !
Et si je ne veux pas me passer de poisson ?
Si vraiment, tu ne veux pas te passer de poisson, choisis une espèce qui n’est pas menacée, pour réduire la pression qui lui est exercée. Tu peux t’aider pour cela de l’application de WWF et de son conso-guide poisson. Il est aussi en général préférable de limiter sa consommation de grands prédateurs comme le thon ou le cabillaud. Si tu as besoin de thon en boîte pour ta recette préférée, privilégie le thon listao, dont les stocks sont plus élevés que ceux du thon albacore, qui est largement surexploité. Greenpeace a réalisé un classement des marques de boîtes de thon, en fonction des méthodes de pêche utilisées.
Et pour les espèces les moins menacées, on évite les périodes de reproduction. Pour le bar de ligne par exemple, elle se situe de mi-mars à fin septembre.
Mais attention, il serait beaucoup trop simpliste de penser pouvoir enrayer la surpêche en se contentant de reporter sa consommation de poisson sur d’autres espèces : leurs populations risquent elles aussi, à leur tour, de décliner.
On prête donc aussi attention aux méthodes de pêches utilisées, et on choisit les plus vertueuses. Le poisson de ligne est à privilégier. Il est plus cher mais de meilleure qualité, puisqu’il n’a pas eu l’occasion d’être écrasé dans le fond du chalut ou stocké pendant plusieurs jours à bord d’un bateau. Notons au passage que la pêche artisanale produit autant de captures en utilisant seulement un huitième du carburant brûlé par la pêche industrielle. Elle utilise aussi des méthodes plus sélectives, rejetant moins de poissons.
Pour le thon en boîte, on choisit celui pour lequel il est précisé que la pêche a été effectuée à la cane ou à la senne sans dispositif de concentration de poisson.
Et puis bien sûr, on privilégie le bio, les circuits courts, les produits frais et non transformés !
Demander plus d’aires protégées
Encore plus simple pour aider à la protection des océans : un clic pour signer la pétition lancée par Greenpeace pour encourager les gouvernements à respecter la suggestion de l’IUCN : 30% d’aires protégées, où aucune activité extractive ne serait autorisée.
Les eaux internationales ne font actuellement l’objet d’aucune protection, pourtant les scientifiques recommandent de créer un réseau d’aires protégées couvrant 30% de la superficie des océans. Non seulement cela donnera à la vie marine des havres de paix pour se régénérer, mais cela profitera aussi aux pêcheurs dans les régions avoisinantes, puisque les stocks de poisson augmenteront (parce que oui, on se doute bien que l’activité de pêche ne va pas disparaître du jour au lendemain).
Et puis surtout, parles-en autour de toi ! Parce que partager l’info, ça permet d’agir à plusieurs, d’être plus forts et d’aller plus vite !
Sources – Pour aller plus loin :
- Bloom, Fondation Bertarelli/Pew Charitable Trusts, France Nature Environnement, Greenpeace France, Ligue pour la Protection des Oiseaux, Mediterranean Recovery Action Network, Oceana Europe, Pleine Mer, Sea Shepherd France. 08.07.2020. Position des ONG sur le volet marin de la future Stratégie Nationale pour les Aires Protégées 2020-2030
- Bloom. 2017. Océan – climat, le petit guide qui évite de dire des grosses bêtises
- Bloom. 2016. Mieux consommer
- Claudet J. et al. 2021. Critical gaps in the protection of the second largest exclusive economic zone in the world. Marine Policy 124:104379
- Goodplanet. 3 minutes pour comprendre… la surpêche
- Greenpeace. 12.04.2021. Pêche destructrice dans l’océan Indien
- Greenpeace. 2019. Ghost gear: The abandoned fishing nets haunting our oceans. 20 pp.
- Greenpeace. 22.11.2019. Les filets fantômes, ces déchets qui hantent les océans
- Greenpeace. 11.04.2017. Quels poissons consommer sans nuire à la planète ?
- Greenpeace New Zealand. 06.08.2020. How does overfishing make climate change worse?
- GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). 2019. L’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique – Résumé à l’intention des décideurs publics
- Ifremer. 2021. Les chiffres 2020 : plus de la moitié des volumes pêchés provient de populations exploitées durablement
- Maunder. 2008. Maximum Sustainability Yield. In: Encyclopedia of Ecology. Academic Press. pp. 2292-2296.
- National Geographic. 24.09.2019.How much is a whale worth?
- seaspiracy.org/facts
- UNEP. 14.10.2019. Protecting whales to protect the ocean
- WWF. Surpêche